Physical Address

304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124

En Côte d’Ivoire, la mort annoncée du puissant syndicat étudiant Fesci : « Une violence est entrée sur nos campus »

Le pouvoir ivoirien vient de sonner le glas de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci). Une décision annoncée en deux phrases lapidaires, à la fin du communiqué du Conseil national de sécurité (CNS) qui s’est réuni jeudi 17 octobre sous la présidence d’Alassane Ouattara : « Le ministre [de l’enseignement supérieur] a proposé la dissolution de toutes les associations syndicales estudiantines. Le Conseil national de sécurité a entériné ces propositions. » Un décret gouvernemental devrait officialiser dans les prochains jours la dissolution du puissant syndicat étudiant, plongé dans la tourmente depuis plusieurs semaines par une double histoire de meurtre.
Mercredi, les deux ministres interrogés sur le sujet s’étaient pourtant montrés réservés devant la presse. « Je n’ai pas coutume de commenter les actions qui s’inscrivent dans le cadre de procédures judiciaires », avait éludé le porte-parole du gouvernement, Amadou Coulibaly, à l’issue du conseil des ministres, tout en reconnaissant qu’« une violence est entrée sur nos campus et nos universités qui ne peut plus être acceptée ».
Interpellé par Le Monde quelques heures plus tard au « Rendez-vous du RHDP », la tribune bimensuelle du parti présidentiel, son porte-parole Kobenan Kouassi Adjoumani a renvoyé la balle dans le camp de la justice. « Là où il y a mort d’homme, dans un pays de droit, la politique ne doit pas intervenir, a-t-il déclaré. S’il est avéré que les dirigeants actuels de la Fesci sont à l’origine [de ces crimes], la justice va décider du sort de ceux qui sont impliqués dans la tuerie, et puis la justice va faire son travail. »
Dix-sept membres de la Fesci, dont son secrétaire général Sié Kambou, ont en effet été interpellés et placés sous mandat de dépôt, révèle le communiqué du CNS. Ils sont visés par des enquêtes criminelles portant sur deux meurtres successifs, commis en l’intervalle de quelques semaines.
Le premier est celui de Khalifa Diomandé, 30 ans, battu à mort à la fin du mois d’août. Etudiant en deuxième année de master de criminologie, membre du syndicat, celui-ci serait tombé dans un « guet-apens » tendu par plusieurs « fescistes » à la demande d’un certain Benié Assy, « mécontent de l’issue d’une affaire d’obtention de bourse universitaire », a indiqué le procureur de la République dans un communiqué le 7 octobre. Transporté par ses agresseurs au CHU de Cocody, il y aurait été soigné avant de regagner son domicile, où il serait décédé des suites de ses blessures.
Un autre étudiant, Mars Aubin Déagoué, 49 ans, connu à la Fesci comme le rival de Sié Kambou, a été assassiné à son tour dans la nuit du dimanche 29 au lundi 30 septembre. Ce dernier aurait été « enlevé puis molesté par des individus identifiés comme étant membres » de la Fesci, selon les autorités.
En plus de cette vague d’arrestations, les ministères de l’enseignement supérieur et de l’intérieur avaient interdit à titre conservatoire les activités de toutes les associations syndicales estudiantines. Et lancé, à partir du 2 octobre, plusieurs opérations « d’assainissement dans les cités universitaires ».
Selon le CNS, ces opérations auraient permis « la saisie d’un lot important d’armes blanches dont 107 machettes, de grenades et de plusieurs autres matériels, notamment des treillis des forces de défense et de sécurité ». Elles auraient aussi permis la découverte et la destruction de « nombreux commerces illégaux ainsi que de quatre fumoirs, d’une maison close et d’un tunnel de torture ».
Les autorités ont surtout expulsé 5 000 individus logés « irrégulièrement » dans les campus d’Abidjan, de Bouaké et de Daloa, alors que la sous-location des chambres universitaires constituait un apport financier pour la Fesci. L’organisme officiellement en charge, le Centre régional des œuvres universitaires (Crou), ayant partiellement perdu le contrôle de la location étudiante ces dernières années, laissait en effet l’organisation gérer celle-ci dans des conditions opaques.
Sous sa férule, « 35 % des lits de l’université étaient occupés de façon illégale, a rappelé mercredi Amadou Coulibaly, soit environ 5 000 lits sur un total d’un peu plus de 14 000. Soit par des étudiants qui ne remplissaient pas les conditions d’attribution des chambres, soit par des travailleurs, et même par des fonctionnaires. »
La décision de dissoudre le syndicat a pourtant surpris les observateurs jusque dans les rangs du camp présidentiel, jusque-là divisés sur le sujet. « Les plus radicaux voulaient la dissolution de la Fesci, reconnaît un haut cadre, mais la plupart ne le souhaitaient pas. Ceux-là estiment qu’il ne faut pas confondre le secrétaire général, impliqué dans ces affaires de meurtre, et la Fesci en tant qu’institution qui, selon eux, a commencé sa mue et se présente de plus en plus comme une structure travaillant pour la paix sur les campus. »
Car, malgré ses dérives et ses pratiques violentes, la Fesci a su s’imposer depuis sa création en 1990 comme une institution indispensable pour les étudiants, capable de pallier les nombreuses insuffisances du système universitaire. « Les problèmes à l’école et à l’université sont énormes, souligne le politologue Geoffroy-Julien Kouao. Les étudiants pensent que la Fesci est la seule association capable de défendre leurs intérêts. »
Tous les efforts pour éradiquer la Fesci au cours des trois dernières décennies se sont soldés par des échecs. Lorsque le gouvernement d’Alassane Ouattara, alors premier ministre de Félix Houphouët-Boigny, avait prononcé sa dissolution en 1991, le mouvement était parvenu à subsister dans la clandestinité. En 2011, après la chute de Laurent Gbagbo et alors que la Fesci s’était transformée en milice au service de l’ancien président, les observateurs croyaient à nouveau que le syndicat ne s’en relèverait pas.
« Les gouvernements successifs ont préféré ménager la Fesci pour éviter les grèves internationales sur les campus universitaires, explique Geoffroy-Julien Kouao. Et puis il y a le facteur politique. La population scolaire et estudiantine est de 8 millions en Côte d’Ivoire et la majorité est, sinon fesciste, du moins sympathisante de cette organisation. Avoir la Fesci contre soi est néfaste sur le plan électoral. »
Marine Jeannin (Abidjan, correspondance)
Contribuer

en_USEnglish